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Covid-19 : on vous explique pourquoi la vaccination obligatoire des soignants reste un dilemme en France

Les doses du vaccin d'AstraZeneca peinent à trouver leur public parmi les soignants, alors que de nombreuses infections sont signalées au sein même des hôpitaux. Pour certains professionnels, il faut donc aller plus loin et contraindre les personnels à se protéger.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Dans une unité de soins intensifs à l'hôpital Jacques-Cartier de Massy (Essonne), le 8 décembre 2020. (PASCAL BACHELET / BSIP)

"L'adhésion des soignants à la vaccination va augmenter. Je crois que le temps de la réticence est derrière nous." Olivier Véran a joué la carte de l'optimisme, jeudi 4 mars, en conférence de presse, alors que le vaccin d'AstraZeneca peine toujours à trouver sa cible. Afin d'accélérer la cadence et de répondre aux défiances, le ministre de la Santé doit envoyer ce vendredi un courrier "à l'ensemble des soignants de notre pays" pour les "inciter très fortement à se faire vacciner". Si cela ne suffisait pas, toutefois, le ministre pourrait alors effectuer "une saisine du comité consultatif national d'éthique qui serait fondé (...) à nous dire s’il faut aller au-delà." C'est-à-dire à rendre obligatoire le vaccin chez ces professionnels.

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Mardi, seules 25% des doses du vaccin à vecteur viral du groupe AstraZeneca avaient été utilisées, selon le ministère de la Santé. Une situation due en grande partie à la sous-utilisation des stocks par le personnel soignant, public ciblé lors de cette étape de la campagne vaccinale. Le constat est d'autant plus frappant que le Covid-19 est aujourd'hui la première maladie nosocomiale de France. Le 14 février, près de 27 000 patients avaient attrapé le coronavirus à l'hôpital depuis le début de l'épidémie, selon Santé publique France, qui recense "186 décès liés".

Une situation jugée "inacceptable" par François Chast, chef du service de pharmacie clinique de l'hôpital Necker. Interrogé mardi sur France Inter, ce dernier estimait que la vaccination faisait "partie des bonnes pratiques", au même titre que "le port de la charlotte, du masque ou de la blouse pendant les soins". Ne pas se faire vacciner pourrait même constituer, selon lui, "une faute professionnelle". Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'Hôpital Tenon, réclamait ainsi sur franceinfo "que l'on rediscute" de l'introduction d'une obligation pour les soignants.

Gare à ne pas brusquer les réticents

Serpent de mer des campagnes hivernales contre la grippe, ce débat sur les obligations vaccinales est donc de retour. Cette mesure est "à double tranchant car on crée des blocages", estime Bruno Pozzetto, chef du service de virologie du CHU de Saint-Etienne (Loire) et membre du Haut Conseil de la santé publique (HSCP). "Je suis favorable à la généralisation du vaccin mais quelle est la façon la plus intelligente pour convaincre les gens ?"

"Ce n'est pas aussi simple que d'obliger à porter un masque ou à utiliser du gel hydro-alcoolique."

Bruno Pozzetto, chef du service de virologie du CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

Plusieurs critères semblent justifier ce recours, comme la gravité de la maladie concernée, sa fréquence et l'efficacité du vaccin. Mais l'épidémiologiste Judith Mueller, professeure à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), rappelle à franceinfo que les vaccins semblent casser une partie seulement des transmissions – "peut-être entre 30 et 60%" – et ce, malgré les données encourageantes des grandes études menées en Israël. Dans ces conditions, il n'est pas intuitif "d'obliger les soignants à se faire vacciner et de leur dire de continuer à porter le masque", d'autant que certains se sont plaints d'effets secondaires. Les autorités avaient d'ailleurs recommandé un échelonnement de la vaccination pour éviter de désorganiser les services.

Mais surtout, quid des soignants qui refuseraient de se faire vacciner ? "Nous sommes au milieu d'une épidémie où l'un des principaux problèmes est justement le maintien du système de soin", ajoute la chercheuse, qui travaille avec le groupe d'étude sur le risque d'exposition des soignants (Geres) sur la vaccination des professionnels de santé.

S'il n'y a pas tellement de bénéfice en augmentant la couverture vaccinale, et qu'il existe un risque de perdre des soignants, alors ce n'est pas intéressant."

Judith Mueller, épidémiologiste

à franceinfo

La chercheuse estime donc que l'obligation vaccinale ne repose pas entièrement sur des arguments scientifiques, mais qu'il s'agit également "d'un choix politique", lequel est "forcément complexe". Les pouvoirs publics, justement, semblent en plein dilemme.

Le Conseil des ministres a évoqué la question

Dans les maisons de retraite (Ehpad) et les unités de soins de longue durée (USLD), moins de 200 000 professionnels ont ainsi reçu au moins une dose de vaccin, soit 42% des effectifs. "Clairement, ça ne suffit pas", a réagi le ministre de la Santé, Olivier Véran, en conférence de presse, jeudi 4 mars, ajoutant que 30% des soignants, en ville et à l'hôpital, avaient été vaccinés. La mesure d'une obligation appliquée à l'ensemble des soignants a bien été évoquée en Conseil des ministres, selon les informations de franceinfo, mais aucune décision n'a été prise et l'option soulève de toute façon des questions de droit.

Certains vaccins sont déjà obligatoires chez les professionnels de santé, comme le prévoit le Code de la santé publique. Les étudiants, les professionnels exposés et le personnel des laboratoires d'analyse médicale ont déjà l'obligation d'être vaccinés contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. En 2006, il était également obligatoire de se vacciner contre la grippe, mais la mesure a été abandonnée dès l'été suivant.

Qu'en disent les organisations professionnelles ? Contacté par franceinfo, l'Ordre national des infirmiers rappelle que la vaccination "relève du devoir déontologique" et que l'infirmier doit "toujours agir dans l'intérêt du patient", sans préciser toutefois sa position sur le débat en cours. Interrogé par l'AFP, le président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), Daniel Guillerm, estime qu'il ne serait "pas anormal d'inscrire le Covid à la liste des vaccins obligatoires" pour les soignants. "Je n'aime pas les obligations", ajoute Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), considérant que la vaccination "est plutôt de l'ordre de l'éthique et de l'engagement professionnel".

"Toute initiative visant à augmenter la couverture vaccinale est la bienvenue", déclare de son côté Jean-François Gehanno, professeur de médecine du travail au CHU de Rouen, membre du Haut Conseil de la santé publique. Mais il n'est pas convaincu par la nécessité d'en passer par une obligation. Il souligne l'importance de l'exemplarité dans les petites unités, avec des responsables d'équipe qui se font vacciner, "ce qui a tendance à entraîner les équipes". Il croit également beaucoup aux discussions locales, afin de "discuter des ressentis" et de dissiper "les craintes" des uns et des autres.

Des soignants plus ou moins convaincus

En effet, l'hésitation vaccinale semble plus répandue dans certaines catégories de soignants. En janvier, dans une enquête (PDF) menée par le groupe d'étude sur le risque d'exposition des soignants (Geres) à laquelle est associée Judit Mueller, quelque 60% des soignants déclarait une intention de se faire vacciner, avec de fortes nuances chez les aides-soignants (30%), les infirmiers (47%) et les médecins (82%).

"Il existe une dichotomie dans le personnel soignant. Les infirmiers ont beaucoup appris au personnel médical sur les mesures d'hygiène, mais en matière de vaccination, il y a un vraiment un blocage historique."

Bruno Pozzetto, chef du service de virologie du CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

Bruno Pozetto se souvient également d'une expérimentation menée il y a quelques années dans les deux hôpitaux stéphanois, consistant à soumettre le choix au personnel de se vacciner ou de porter le masque pendant toute l'hiver, période de circulation du virus grippal. "Je me souviens d'un débat avec l'équipe des sage-femmes en gynéco-obstétrique, qui avaient toutes opté pour le port du masque, alors que c'était une pratique peu commune", témoigne-t-il.

Il existe aujourd'hui peu de données sur les vaccinations par catégorie professionnelle. Mais Le Parisien est toutefois parvenu à obtenir des chiffres à l'AP-HP : 36% du personnel médical avait reçu au moins une dose, contre 17 à 18% chez les autres, essentiellement les infirmières et les aides-soignants. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la relative défiance, notamment dans cette dernière catégorie : niveau d'études et de formation, intérêt plus vif pour les approches liées à la naturopathie ou confiance limitée envers les vaccins et les autorités...

"Cela va plus loin qu'une crainte des effets secondaires", décrypte Judith Mueller. "L'intention vaccinale est fortement liée au niveau de confiance exprimée envers les autorités. Et pointer du doigt une catégorie professionnelle va justement renforcer cette position", analyse encore l'épidémiologiste. Et de rappeler que les soignants sont attentifs aux "besoins du patient" et qu'ils "sont soucieux de ne pas les mettre à risque". Selon elle, il faut donc remettre le débat à sa place : "La vaccination, ce n'est pas la société, c'est ma santé."

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